Pas tous logés à la même enseigne
Avec le confinement, l’apparition au grand jour d’acteurs traditionnellement invisibles a mis en lumière l’écart entre, pour reprendre l’expression consacrée, des « cols blancs » pouvant télétravailler à la maison et des « cols bleus » dont la présence est requise sur le lieu de travail. Cette ligne de partage n’est pas sans questionner les communicants internes, dont la fonction consiste à être vecteurs d’unité plutôt que relais de forces centrifuges.
Nous n’avons pas tous été loges à la même enseigne dans cette crise, tant du point de vue de l’organisation et des conditions de travail que de la place dans la chaine de production et de valeur », explique Denis Maillard, dans le n° 46 des Cahiers de la communication interne..
Sensible aux fractures, comme aux ciments qui les contiennent, Denis Maillard rejoignait là les thèses de Jérôme Fourquet sur l’archipellisation de notre société multiple et divisée.
En avril, à la faveur d’une visite de magasin, Emmanuel Macron avait salué d’un tweet les combattants de la deuxième ligne, faisant accéder au rang de héros nationaux hôtesses de caisse et employés libre-service, estimés aussi utiles que les paysans pour approvisionner et nourrir les populations. Cette nouvelle méritocratie étant posée à l’aune d’activités jugées « vitales » – au détriment d’autres, qui, dès lors, ne l’étaient plus… ou moins.
Ces travailleurs de l’aube – caissiers, mais aussi ouvriers, éboueurs, livreurs ou agents de sécurité – ont poursuivi leur métier, permettant à des millions de Français de continuer à vivre une vie presque normale pendant les longues semaines de confinement. Sortis de l’ombre, ces femmes et ces hommes aux fonctions essentielles, « que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal », ont interrogé silencieusement leurs collègues, mis à l’abri par le télétravail massif, sur l’utilité réelle de leurs fonctions tertiaires… Durant quelques semaines, la fierté des premiers fut immense et les applaudissements des seconds sincères. Mais derrière l’unanimité, les clivages sont devenus plus vifs, relançant les questions de la perte de sens, du manque de reconnaissance ou de la pénibilité.
Pour les communicants, la vraie question face à ces clivages internes aux organisations, c’est de s’adresser à tous et de faire entendre une parole valable pour tous, audible par tous leurs publics, pas tous loges à la même enseigne.
« Premiers de corvée » devenus « premiers de cordée », puis, inversement, allers-retours entre le « monde d’avant » et un supposé « monde d’après »… les questions sont multiples et Denis Maillard en évoquait quelques-unes, à chaud. Six mois plus tard, faut-il estimer que « les invisibles sont repartis à leur invisibilisation » et que bien des communicants, retournés au statu quo ante, retrouvent leurs angles morts ? Il ne le semble pas, puisque la pandémie se prolonge et la crise économique s’amplifie.
Pour inconfortable, difficile, voire dramatique qu’elle soit, cette situation invite les communicants à (re)fabriquer du commun, à chercher davantage de sens et de cohérence, ainsi qu’à déployer davantage d’implication émotionnelle dans leur travail. Elle nous y oblige, même. Et c’est l’objectif des présents Cahiers, comme des prises de recul proposées par l’Afci.
Article issu des Cahiers de la communication interne n°46 – Octobre 2020