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Le récit de Sophie

Récits de métier
15 novembre 2024

Je mets de l’huile dans les rouages

Sophie

Responsable communication interne d’un opérateur de l’État

Je suis responsable de la communication interne d’un opérateur de l’État sous la tutelle de deux ministères. Mon travail, c’est d’organiser et mettre en œuvre la communication interne, sachant que c’est une création de poste qui a eu lieu juste avant le COVID, ce qui peut paraître un petit peu étonnant parce que c’est une institution ancienne de 1 500 personnes sur une dizaine de sites.
Quand j’ai pris mon poste, la communication interne se résumait à un magazine, dit « le magazine des agents », animé par une secrétaire de rédaction, qui était graphiste de métier. Il y avait aussi des actions de communication interne, mais pas vraiment structurées, avec des objectifs spécifiques.

Je suis rattachée à la Direction de la communication qui est organisée en deux services :  un service qui fait du conseil et du pilotage auquel je suis rattachée et un service plutôt production de contenu auquel Justine, qui est mon binôme sur la communication interne mais 100 % dédiée au magazine, est rattachée.

La population est assez spécifique.

Chez nous -ce n’est pas mon cas, j’ai un passé dans d’autres domaines d’activité –  presque tout est structuré autour d’un métier très fort doté d’une école d’ingénieurs et d’écoles d’experts techniciens. Les agents sortent de ces formations. Ils se sont connus à 18 ans et font, pour une grande majorité, toute leur carrière ici, avec cet amour de leur métier plus que du service public. Dans leur imaginaire, ils se sentent moins fonctionnaires qu’issus du même métier. Et ils iraient peu dans d’autres administrations. Nous avons aussi des ouvriers d’État, un registre très particulier d’employés du service public, une corporation assez forte… Pour compléter la présentation, à 70 % ce sont des hommes parce que les métiers sont historiquement scientifiques avec nécessité d’aller sur le terrain… et surtout des gens très passionnés, amoureux de leur métier.

Avec ma collègue, on a beaucoup travaillé à créer un climat de confiance. Je nous vois comme celles qui mettent de l’huile dans les rouages, quelque chose comme ça… En faisant attention de ne rien brusquer. Nous ne sommes pas du métier. Nous venons “de l’extérieur”. Il faut savoir montrer patte blanche. Ce qu’on a assez bien fait… On essaye de jouer un petit peu habilement de notre côté candide quand ça nous est utile… lorsqu’on veut faire passer des messages l’air de rien… Et puis, Il y a dans notre travail un peu le côté « déléguée de classe » … Ce n’est pas aussi caricatural, mais en gros, je suis la personne-ressource que l’on va appeler quand il y a un truc qui ne va pas, qu’on ne sait pas trop comment s’y prendre et comment faire.

J’ai essayé d’avancer autour de trois piliers : l’éditorial, la convivialité et l’acculturation.

Sur le pilier éditorial, j’ai donc trouvé à mon arrivée un magazine de libre expression des agents, un peu comme dans les journaux municipaux. De mon côté, j’ai essayé, en douceur, de garder à la fois cette culture de parole assez libre, centrée sur des sujets très techniques, patrimoniaux, vraiment cœur de métier, et, petit à petit, de glisser vers une communication interne qui soit à mi-chemin entre cette culture là et la vision stratégique qu’essaye de mettre en œuvre l’institution. Ma collègue Judith, qui est arrivée il y a trois ans pour reprendre le poste sur la partie éditoriale- magazine, insuffle maintenant une approche un peu plus globalisée des choses. De tout temps, il y avait un réseau de correspondants communication interne sur lequel on s’appuyait mais avec ce principe que la Dircom était plutôt « une caisse enregistreuse des propositions » en les questionnant assez peu. Petit à petit, nous avons proposé à notre réseau de correspondants communication interne de faire des séminaires et de les faire travailler sur des notions d’angle. Depuis cette année, on a officiellement mis en place un comité éditorial pour le magazine.

Nous avons commencé à leur proposer aussi une présentation de notre plan de communication pour les embarquer. Réfléchissons ensemble. Pourquoi vous avez envie de proposer cet article ? Qu’avez-vous envie de dire au travers de cet article ? Trouver ensemble en quoi ça peut résonner, en quoi ça peut intéresser l’ensemble de la communauté. Essayer de leur faire partager notre vision des choses et de trouver un terrain d’entente, tout en les formant à une approche plus journalistique. Il nous arrive de recevoir un article d’une page dont le collègue est absolument ravi et qui parle en gros de la qualité de la paella pendant le séminaire ! Il faut donc faire preuve d’abnégation, d’humour et en même temps ne rien lâcher pour, avec finesse, suggérer que peut-être, il y a autre chose à dire. Certains correspondants voulaient absolument nous parler du séminaire qu’ils avaient organisé parce que, pour eux, ça avait été un grand moment. On a essayé, de notre côté, de leur poser la question : Qu’est-ce que ça peut t’apporter à toi de lire que tes collègues ont organisé un séminaire ? Ça peut paraître partir de loin, mais en fait il y avait vraiment besoin de retravailler tout ce tissu, tout ce maillage… Notre positionnement reste d’éviter d’être dans un dispositif hyper descendant. Le DG ne prend jamais la parole dans le magazine. Les membres du CODIR ont dû intervenir une ou deux fois, mais seulement en tant qu’experts techniques. Avec notre culture de métier très forte, très maison, si on faisait autrement ça ne passerait pas et, par ailleurs, notre direction actuelle pousse une vision du service public axée sur l’intelligence collective et la co-construction

C’est donc beaucoup de l’informel. Avec ma collègue, on n’a pas du tout les mêmes tempéraments mais on partage cette vision. On essaye de convaincre, de faire de la pédagogie et petit à petit ça se met en place.

Sur le pilier convivialité, on a dû faire un travail énorme en post COVID et aussi pour accrocher tous les sites qui étaient un peu laissés orphelins.

On avait une bonne idée de la situation sur le site principal, 980 personnes, situé en banlieue parisienne, mais on ne savait pas trop ce qui se faisait sur les autres sites qui regroupent 500 / 600 agents, ce qui représente une bonne partie de l’entreprise. Donc, il y avait une reprise en main nécessaire pour aller vers une convivialité plus concertée et pensée collectivement.

On a mis en place, après la période COVID notamment, un rituel de petits déjeuners. C’est-à-dire qu’une fois par trimestre on invite l’ensemble des sites à proposer aux agents un temps de petit déjeuner. Sur le site principal, ça a été une grande première qui a été complexe à mettre en place… On est dans le service public, donc la question des dépenses, ça fait partie des choses compliquées. En revanche, sur les sites en région il y a des directions qui avaient déjà des habitudes de convivialité sur le temps du petit déjeuner. Là, le travail ça a plutôt été de dire : organisons-nous pour le faire tous en même temps, ce qui a un côté sympathique.

Et puis cette dynamique a permis à des sites qui, historiquement, ont des effectifs plus restreints (de 9 à 90 personnes en région) ou qui pour X raisons n’avaient jamais mis en place de temps de convivialité, de prendre le train en marche. Donc, maintenant, on a un programme de petits déjeuners, quatre fois par an, quasiment en même temps, sur l’espace d’une semaine, parce qu’il y a toujours les histoires de télétravail avec des jours de présentiel différents.

Au moment de la fête de la musique, puisqu’on a beaucoup d’associations de musiciens, on fait un « petit dèj musical » avec les agents qui viennent jouer du piano de la guitare etc lors du petit déjeuner

En sortie de covid on avait un tissu social abîmé. En 2019, il y a eu une réorganisation qui a été mal vécue, puis on a enchaîné avec les grèves de fin 2019. Et ensuite… le covid. Ces petits déjeuners sont arrivés au bon moment.

Mais quand on les a lancés, voici les questions qui me sont arrivées, par mail ou autres : « Est ce qu’il y aura bien des viennoiseries sans gluten ? »  « Est-ce que j’ai vraiment le droit de venir ? » « C’est pendant le Ramadan » … etc.

En fait, au travers de ces interrogations, ce que je voyais c’était des interrogations sur une mise en mouvement dont on n’avait plus l’habitude.

Nous étions très appuyés par la direction générale, et cependant nous avons dû dire : “C’est OK, ça fait partie du travail de venir prendre 1 h, 1 h 30 à la cafétéria pour juste boire un café, un jus d’orange, manger des pâtisseries et échanger avec ses collègues sans autre forme de procès”. Pour sécuriser les choses et que l’intention soit bien claire, on a pris comme habitude de ne jamais faire de photos. En d’autres termes, ce n’est pas un exercice de communication, c’est juste un moment sympa entre nous. Pas de discours, pas de formalités. Vient qui veut selon ses contraintes horaires et ça se passe plutôt bien, oui plutôt sereinement.

Mon rôle, c’est de “lancer les hostilités”, on va dire ! Autrement dit, c’est moi qui fais le tour des sites pour dire : « Voilà on lance la nouvelle campagne de petit déj cette semaine-là. Dites-moi les dates qui vous conviennent qu’on puisse faire une information collective »

Et puis, pour le site principal, je m’occupe de tout mettre en place. On a de la chance parce qu’on a une restauration sur place qui est faite maison et je m’occupe de faire des devis avec eux pour voir comment on peut optimiser parce qu’on est aussi dans un cadre de contexte budgétaire compliqué. Mais on trouve des solutions.

Je m’appuie sur ce qui existe. On a un contexte bien ancré d’intelligence collective, c’est-à-dire qu’on a un “lab” d’intelligence collective qui existe depuis longtemps. Toutes les activités sportives, associatives, artistiques sont prises en charge par des associations, donc il y a plutôt l’idée de fédérer et de donner une place à des associations et des collectifs qui sont déjà en ordre de marche plutôt que de tout créer, voire re-créer par nous-mêmes. C’est aussi une façon de faire collectif.

Difficile de mesurer l’effet de ces “petits dej” sur le climat social. Il y a quelques années, le baromètre d’opinion interne, qui était piloté par la RH, a été abandonné.

On est sur du ressenti, mais c’est vrai qu’il y a pas mal d’agents qui sont assez « geeks », très ordinateur, et qui sortent assez peu. Un peu des profils « petite souris » et quand ils viennent me voir pour me demander, l’air de rien, si le petit déjeuner aura bien lieu fin septembre, comme d’habitude, pour moi ça veut dire que les choses sont gagnées.

C’est-à-dire qu’il y a un rituel qui est en train de s’installer et qui est un peu comme un pilier. Dans certaines directions territoriales qui avaient une habitude de convivialité, au début il a fallu faire preuve de diplomatie pour leur dire que ce serait quand même « cool » qu’ils s’insèrent dans le tissu collectif, ce à quoi certains rechignaient au départ.

On trouve, à la fois, ce côté un peu sécessionniste mais dès qu’ils se rendent compte que ça peut faire du bien à tout le monde, là ça passe. À la rentrée on a proposé des Olympiades inter-sites, avec l’association sportive, toujours avec cette même méthodologie de s’appuyer sur les tissus existants pour essayer d’embarquer le plus largement possible. On a fait monter des délégations sportives de beaucoup de sites.

Sur le pilier acculturation, nous avons participé à la conduite d’un changement majeur. L’événement déclencheur a été, fin 2021. Notre institution, structurée autour d’un métier très technique, dont nous nous estimions être les leaders, vendait ses données. Son modèle économique reposait sur cette vente, animée par d’authentiques commerciaux. À compter de fin 2021, avec le passage à l’open data, un nouveau modèle économique nous était imposé: donner ces données et non plus les vendre. Outre le modèle économique pérenne qui reste à trouver, nos commerciaux ont dû devenir des animateurs de communautés… un exemple pour montrer le changement majeur de posture, de l’institution comme de ces agents. Le DG qui est arrivé fin 2021 nous a dit : « Ok jouons à fond ce jeu de la mise en commun ». Ça a aussi été le bon moment pour faire comprendre à nos équipes que nous gagnerions à nous ouvrir en travaillant en communauté. Nous avions tendance à être dans notre tour d’ivoire d’excellence, en passant à côté de grands mouvements.

Nous avons donc travaillé sur ce principe des communs. A ce moment-là, j’ai porté un programme qui s’appelait « Les explorateurs”. A partir d’une invitation ouverte, on a proposé aux agents volontaires d’intégrer ce programme. On a réussi à faire adhérer une cinquantaine d’agents pour qu’ils se mettent en équipe et qu’ils aillent sur place explorer, dans d’autres contextes professionnels, publics ou privés, comment travaillent nos partenaires ou homologues.

Mon rôle a été de coordonner le projet avec une agence et de faire le lien avec nos équipes.

Le seul fait de sortir à l’extérieur était compliqué. On a même fait des trames de mails destinées aux participants pour qu’ils puissent contacter les structures parce qu’ils ne savaient pas exactement ce qu’ils pouvaient dire, ce qui se faisait ou pas. J’ai aussi organisé des points de synchronisation.

A la fin du processus, on a organisé une session d’atterrissage collectif qui a permis à la direction et aux chefs de service de venir voir et de prendre conscience du travail collectif, des pépites et des idées qui avaient pu ressortir de ce travail collectif.

L’animation de la communauté managériale fait aussi partie de mes activités. C’est quelque chose que l’on déploie depuis deux ans. Notre institution a été une structure militaire pendant longtemps où finalement les postes de management étaient des postes de contremaîtres auxquels on accédait par expertise technique du métier. Petit à petit, nous avons des managers qui viennent d’autres horizons, et on essaye de recréer cette culture commune du management.

Tout est à restructurer et donc on a commencé par un travail d’écriture collective d’un projet managérial, en co-construction avec l’ensemble des managers. L’idée était de se mettre tous ensemble autour de la table sur la question des valeurs partagées. Ça a été un gros travail et une façon de lancer le sujet. Et maintenant, on travaille à faire prendre conscience aux intéressés – les “anciens” qui se voyaient comme des techniciens du métier, et les “nouveaux” qui ne viennent pas de cet univers – qu’ils font partie d’une même communauté managériale. Avec toujours les mêmes ingrédients : organiser des temps de convivialité qui permettent aux gens à la fois de sanctuariser ces moments et de prendre conscience de leur importance. Ces temps nous permettent d’apporter des choses, et en même temps de faire comprendre aux participants que les cartes sont aussi entre leurs mains.

Mon rôle consiste à concevoir des évènements permettant de structurer cette communauté, les « manager camps » par exemple, qui leur permettent de se rencontrer, en inter-directions, en inter-services, et inter niveaux hiérarchiques. Je dois lancer les invitations, imaginer le programme, veiller à l’organisation logistique des choses, animer les sessions de travail le moment venu. Et enfin, récupérer toutes les données, les signaux faibles, tout ce qui peut permettre ensuite d’être retravaillé au niveau soit de la réunion des chefs de services, soit au niveau du CODIR. Je crois que l’on peut se dire : « Ok c’est bon, là on a notre maillage de base ». Maintenant on va commencer à travailler plus précisément sur les questions de posture et sur la question du trait d’union avec le projet stratégique. On commence tout juste le travail… Récemment, j’ai entendu des managers dire : “C’est compliqué de travailler maintenant avec ces managers qui arrivent de nulle part ». Sous-entendu, qui arrivent d’autres organisations et qui ne connaissent pas le métier.

Sur tous ces chantiers de communication, je considère que mon positionnement est celui d’une médiatrice.

A l’occasion d’événements institutionnels externes, certains collègues “geeks” – qui ont 25 ans et pour qui c’est la première sortie hors de leur bureau – m’appellent pour savoir comment il faut s’habiller… Je suis la personne qui fait que ça va bien se passer, ou à qui on va poser la question qu’on ne sait pas à qui poser, ou encore celle qui va soit t’apporter la réponse soit s’occupera de la trouver pour toi, en discrétion si besoin.

Sur la façon d’approcher la convivialité, par exemple, je pars du principe que la majorité des rouages existent déjà et que ce n’est pas la peine d’aller recréer des choses pour pouvoir dire : c’est moi qui l’ai fait. Il faut plutôt faire en sorte que, petit à petit, les rouages aillent dans le sens de la stratégie globale. Dit autrement, orienter le gouvernail de ce qui existe déjà.

Un moment que j’aime bien dans une journée, en tant que communicante interne, c’est quand j’organise des points de synchronisation. Par exemple, récemment, dans le cadre du projet de Portes ouvertes internes, inter-services, sur le thème de l’intelligence artificielle. Ce format est une première. On a fédéré une quinzaine de collègues impliqués dans des activités d’IA chez nous – chercheurs, développeurs, ingénieurs, agents de terrain – qui ont accepté d’être pionniers et de se lancer dans l’aventure à nos côtés. Pendant ces temps de synchronisation, tout le monde vient avec ses idées, elles rebondissent, une idée commune commence à prendre forme qui finit par dépasser l’idée initiale. Lancer une balle et voir que la balle est rattrapée en face je trouve ça génial ! C’est vraiment un travail de mise en relation. Toujours dans ce cas précis, l’événement vient d’avoir lieu, et l’idée c’était « Venez mettre les mains dans le cambouis pour mieux comprendre l’IA », grâce aux contenus, jeux et animations conçus par nos agents « pionniers ». Plus de 220 collègues aux profils très variés ont répondu à l’appel et sont venus mieux comprendre l’IA. Un franc succès !

Pour finir, je trouve que la fonction de la communication interne est de plus en plus considérée. Ma directrice de la communication, plutôt communication externe au départ, est de plus en plus attentive, intéressée et partie prenante de ce qu’on déploie en communication interne. Elle est sensible au fait que l’on ne peut pas être discordant entre l’image qu’on donne à l’externe et à l’interne. Je pense qu’il y a eu un chemin qui a été accompli par beaucoup, notamment aussi par notre Directeur général et son équipe qui sont attentifs et vigilants et avec sincérité sur ces questions-là.

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